Jean Vilar - ils se lèvent à la pointe du jour

un homme qui n'a pas de moyens
qui ne veut pas s'allier ou se mésallier
avec des commanditaires
eh bien   il n'y a qu'une chose
c'est de partir avec ses propres moyens
il vaut mieux encore avoir du succès
et une vie
dans les petits et modestes villages de province
et être libre
esthétiquement et à tous points de vue
que d'avoir la gloire à Paris
dans des conditions
où votre liberté d'artiste
la plus simple
la plus nécessaire
la plus quotidienne
ne sera pas respectée
ou sera menacée
fuire la bonbonnière de la scène fermée
le théâtre doit rester un diverstissement
mais s'il n'était qu'un divertissement
fut-il le plus beau
le plus agréable
le plus intelligent
il faut aussi qu'il soit enseignant
c'est la leçon des très grands dramaturges
des siècles passés
ils ne sont pas seulement des grands poètes
ils sont surtout des gens qui apprennent à une société
ou en tout cas à un public
ce qu'est la justice
ce que peut être l'amour ou le danger de l'amour
ce qu'est la loyauté
ce que peut être l'amitié
un défi au matérialisme
qui pèse déjà lourdement sur le théâtre
et sur la vie en général
un défi aux méthodes opportunistes
au triomphe de l'argent
un défi aux combines sordides
qui empoisonnent et continuent d'empoisonner
l'atmosphère du théâtre
demystifier l'objet d'élite
l'objet bijou parisien
faire venir non pas l'élite
non pas les gens fortunés
mais d'abord ceux qui peut-être
sont éloignés des questions artistiques et esthétiques
que le théâtre ne soit pas considéré
comme une chose qui ne leur appartient pas

                                            Jean Vilar - Charles Dullin
                                                   

ils se lèvent à la pointe du jour
Toyen - 1950