je ne vous aime pas à en mourir
je vous aime à en vivre
à vivre de votre existence
dont je me prive de jouir
car vous n'êtes pas mort
mais vivant
parce que je viens de comprendre
comment l'amour l'a emporté sur la mort
comment l'homme l'emporte sur Dieu
comment l'homme existe
tandis que Dieu n'existe pas
tel est le sens de la rencontre sur la Terre
et que pourrait-il exiger de la vie
sinon l'amour
l'amour vrai
qu'aucun être
ni homme ni femme à cette heure
ne peut plus donner
depuis ce temps
je porte une détresse indéfinissable
c'est comme si mon corps s'en était allé
tandis que l'esprit s'alourdit
et se ferme comme une pierre
qu'est-ce que l'impuissance
sinon ce mauvais sort que les idées
ni les objets ne traduisent
peut-être n'ai-je pas assez payé le prix qu'il convient
à quoi sert la rencontre sur la terre
je me dis que l'entière solitude est seule exactement vraie
mais existe t-elle ?
et n'est-ce pas le suprême tourment
je sens n'avoir possédé réellement que de la souffrance
je m'amuse j'ai tant de plaisir à le faire innocemment
je me rappelle avoir beaucoup aimé Kierkegaard :
un horizon tendu comme une corde
pour qu'on y danse
le mot bonheur tout à coup vient sous ma plume
d'une prison à l'autre parfois
il y a communication
je me demande si l'on ouvre les lettres
tant pis
j'appelle au secours
ceux qui existent
mais ils sont si totalement en dehors de la question
comme si j'étais absente déjà
je poursuis cependant encore ma tâche quotidienne
mais le jour viendra du déliement total
et alors
je connais pourtant bien ce cheminement
je sais qu'au bout de l'âme ÉCLATE
et alors ceux là mêmes qui sont sourds et aveugles
maintenant se précipitent
ils entendent maintenant
et alors c'est contre eux qu'il s'agit de lutter
je cherche
je ne cherche ni l'actrice
ni la femme de lettres
ni moi-même
je cherche la femme
et je la trouverai
je cherche aussi le bonheur
la jeune fille était à peu près silencieuse
je pensais à ces enfants de quinze ans
qui s'endorment dans une chambre close
afin d'être éveillées par un Prince
rêvant qu'on les transporte dans une tour
de vieux remparts solides encore
que le lierre recouvre
et dans laquelle elles vont être murées
avec la gloire de leur coeur pur
et l'espérance de leur amour
mais la terre tourne
celui qui a senti l'amour absolu
et qui ne peut l'exprimer
devient fatalement fou
on peut dire que la folie
n'est autre que l'amour absolu
réfracté par la haine du monde
il a fallu que la réalité ait été détruite une fois
Moi, Colette, la réelle Colette, la vraie, la joyeuse
me voici donc détruite
me voici morte et voici que va
que va le squelette apparent
et que l'on frappe une âme inerte
et sans compréhension
un coeur mort
à bousculer
à piétiner
renversé au fond de l'égout
maculé
brisé jusqu'à l'exaspération totale de l'être
squelette méprisé
et maintenant que l'incendie éclate
l'incendie total
que vous vous retournez
cherchant à découvrir son origine
Colette Colette
c'est un écho qui parle plus vrai que le nom jamais entendu
et qui éclate
il n'est situé dans aucun espace
il n'a pas de temps
sa flamme s'éteint
il ne reste pas de cendres
mais là bas
au bout de l'égout
dans la puanteur noire
brille un petit visage clair rieur enfantin
où as-tu rencontré ce regard ?
dans quelle pierre ?
les temps inconnus de malheur se sont pressés
serrés les uns dans les autres
sans que la terre le soupçonne
Aux profondeurs du sol
l'éphémère apparence du printemps a éclos
battu
brisé
anéanti
le squelette a dilapidé ses puissances
je suis celle qui l'ai nourri
la fille morte
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