les poilus de l'intérieur - dessins de Jean Moulin illustrés par des écrits de Vincent van Gogh



la société préfère paraitre
que d’être
ces gens ne sont pas méchants de ce fait
mais stupides



le curé est allé jusqu’à promettre de l’argent
aux gens qui refuseraient de poser encore pour moi
ceux-ci lui ont répondu fièrement
qu’ils préféraient en gagner chez moi
que de lui en demander




il m’arrive souvent de me sentir comme étourdi
de constater que les gens demeurent antipathiques et froids à mon égard
je perds alors tout mon courage
je me ressaisis ensuite
je me remets au travail et j’en ris

je ne partirai pas d’ici

sans emporter une bonne dose de malice


notre vie est une réalité terrible
et nous déambulons dans l’infini




j’enverrai ces jours ci, petite vitesse, deux caisses de tableaux
dont il ne faudra pas te gêner d’en détruire pas mal.


je n’y puis rien que mes tableaux ne se vendent pas
le jour viendra   cependant
où l’on verra que cela vaut plus que le prix de la couleur
et de ma vie en somme très maigre
que nous y mettons





je préfère peindre des yeux humains
plutôt que des cathédrales
si majestueuses et si imposantes soient-elles
l’âme d’un être humain
même les yeux d’un pitoyable gueux
ou d’une fille du trottoir sont plus intéressants
selon moi




pourquoi suis-je si peu artiste 
que je regrette toujours 
que la statue le tableau ne vivent pas ?






















il viendra un moment
où tu sauras avec certitude
que ton bonheur matériel a été un mécompte fatal
irrémédiable

au même moment
tu te sentiras la force de travailler





si à présent je vaux quelque chose
c’est que je suis seul
et que je hais les niais   les impuissants  les cyniques
les railleurs idiots et bêtes



le public oui il est mécontent à certains égards
mais il applaudit
des applaudissements de feu de paille
ceux qui applaudissent aiment surtout faire du  bruit


il y aura un grand vide
et un véritable silence
le lendemain de fête
et beaucoup d’apathie après tout ce tintamarre





Nous vivons dans le dernier quart d’un siècle
qui s’achèvera par une révolution colossale
supposons un instant
que nous en voyions poindre le début vers la fin de notre vie
Nous, nous ne serons plus là pour connaitre les temps meilleurs
après ces orages
quand toute la société sera baignée d’air pur et de fraicheur
Pourtant c’est quelque chose de ne pas être dupe de la perfidie de son époque
et d’y découvrir les moisissures et les odeurs fétides des heures qui précèdent l’ouragan
De se dire: notre poitrine est oppressée
mais les générations futures pourront respirer plus librement
Zola et les Goncourt y croient avec la naïveté de grands enfants.
Eux    les analystes les plus rigoureux
dont le diagnostic est si brutal et si précis à la fois





qu’est-ce que c’est que ce rang social
qu’est-ce que c’est que cette religion
dont les gens honorables tiennent boutique
Oh! ce sont simplement des absurdités
qui transforment la société en une espèce d’asile d’aliénés
en un monde à l’envers


les nouveaux peintres seuls   pauvres
traités comme des fous
et par suite de ce traitement
le devenant réellement
au moins en tant que quant à leur vie sociale



je connais une vieille légende
qui prétend que le genre humain procède de deux frères
ils pouvaient alors choisir dans tout ce qui existait
l’un choisit l’or
l’autre choisit un livre
tout réussissait au premier
celui qui avait choisi l’or
tandis que rien ne réussissait au second
l’homme au livre fut relégué
isolé dans un pays glacial et misérable
dans son abandon  il se mit à lire le livre
et y apprit beaucoup de choses
tant et si bien qu’il parvint à se faire une existence supportable
qu’il inventa plusieurs ustensiles qui lui permirent de se tirer d’affaire
et qu’il finit par acquérir un certain pouvoir
à force de travailler et de lutter
plus tard
au moment où lui devenait encore plus fort grâce au livre
l’autre se mettait à dépérir
mais il vécut assez longtemps pour se rendre compte
que l’or n’est pas l’axe autour duquel tout tourne




il vaut mieux être Abel que Caïn



des hommes qui ne seraient pas montés à la surface
à une époque difficile mais noble
arrivent à s’imposer
c’est ce que Zola appelle le triomphe de la médiocrité
des coquins et des nullités occupent les places des travailleurs  des penseurs  des artistes
et l’on ne s’en aperçoit même pas





Eh bien   mon travail à moi
j’y risque ma vie et ma raison
mais que veux tu ?


ils ont été capables de signer une pétition
à 80 personnes
pour demander mon internement

je n'avais rien fait





nous serons pauvres
et nous souffrirons la misère
aussi longtemps qu’il le faut
comme une ville assiégée qui n’entend pas capituler
mais nous montrerons que nous sommes quelque chose




ce n’est pas grâce aux girouettes
que le vent vient de l’est ou du nord
de même
ce ne sont pas les opinions
quelles qu’elles soient
qui font que la vérité est la vérité




on finira par en avoir assez du cynisme   de la blague
on voudra vivre plus musicalement
vivre dans la nature comme si on était des fleurs
malgré notre éducation et notre travail dans un monde de convention
il nous faudrait revenir à la nature
redevenir beaucoup plus gais et plus heureux


je vais la nuit pour peindre les étoiles



un peu de bonne humeur
vaut mieux que le reste des remèdes











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